Julien FLEGENHEIMER (1880-1938)
Un grand architecte genevois au style épuré

Architecte genevois, lauréat de l’Ecole des beaux-arts de Paris, peintre sur aquarelle, il est un des pionniers de l’architecture dite moderne et le cousin de l’auteur littéraire Edmond FLEG.

Né à Genève le 25 avril 1880 au sein de la puissante famille Flegenheimer qui se distingue à la fin du XIXe siècle dans le commerce de la soierie, il fait des études de lettres et de droit dans la cité de Calvin avant de rejoindre l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich, puis enfin l’Ecole des beaux-arts de Paris dont il sort lauréat en 1903. S’associant avec Henri-Paul NÉNOT, il réalise plusieurs immeubles à Paris, dont le cinéma Pathé frères et le Temple du culte Antoiniste. En 1909, il participe à la construction, dans un style victorien, des Galeries Tietz de Strasbourg, alors territoire allemand, puis à la rénovation du château de Caprarola en Italie.

L’Eglise Antoiniste à Paris, 1913.

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Beauvallon, un lieu de rêve au bord de la Méditerranée
En 1910, Julien Flegenheimer se lance dans une œuvre importante à Beauvallon, près de Fréjus, dans le Var, qui commence par la construction d’un Palace, le Golf-Hôtel, dont le promoteur est Emile Bernheim, le beau-père d’Edmond Fleg.

Le style, sobre et moderne, de l’hôtel, devance quelque peu son époque et impressionne les milieux architecturaux qui saluent cette réalisation avant-gardiste.
Dans la foulée, Julien Flegenheimer poursuit ses constructions à Beauvallon, dont un centre balnéaire, un port et plusieurs villas de style moderne.

Le Golf-Hôtel de Beauvallon, 1913.

Le retour à Genève
En 1919, l’architecte ouvre un cabinet dans la cité de Calvin. Il construit plusieurs immeubles à Zurich, Arosa et Genève et supervise la construction des cinémas Pathé-Gaumont en Suisse. En 1921, il est en charge de la surélévation de l’ensemble néoclassique de la Corraterie, une des grandes artères emblématiques de la cité de Calvin, puis obtient en 1923 le premier prix pour l’érection du Monument aux morts français et volontaires suisses du Consulat général de France à Genève qu’il réalise avec le sculpteur Jean Larrivé. Il est élevé à cette occasion au rang de Chevalier de la Légion d’honneur.

En 1925, il construit l’hôtel Mon Repos à Genève et deux édifices rue de Lausanne. L’année suivante il s’attaque à la décoration du cinéma-théâtre l’Alhambra (anciennement l’Omnia). Dans l’intervalle, il construit à Paris le bâtiment d’archives de la Banque de Paris et des Pays-bas en collaboration avec Henri Bard et F. Garella.

La Gare Cornavin
En 1926, Julien Flegenheimer remporte le concours pour la reconstruction de la Gare Cornavin, édifice ravagé par un incendie en 1909 et devenu beaucoup trop petit pour le trafic ferroviaire qui s’est intensifié. Il prévoit alors un bâtiment trois fois plus grand que l’ancien et modifie en ce sens la totalité du quartier à proximité en nivelant la butte et en créant une nouvelle artère qui offre une large perspective visuelle sur la gare. Après cinq années de travaux, Genève se dote enfin d’une station ferroviaire de très grande envergure, dont le style moderne et épuré marque les esprits.

La Gare Cornavin, 1929.

Le Palais des Nations
En 1926, la Société des Nations, installée dans le Palais Wilson, lance un concours international pour la construction d’un nouvel édifice. Julien Flegenheimer (avec son acolyte Henri-Paul Nénot), mais aussi 376 autres architectes, dont Le Corbusier, répondent à l’appel. Après examen des différents projets, la SdN décide le 5 mai 1927 de n’en retenir que 9 sur les 377, parmi lesquels ceux de Flegenheimer/Nénot et de Le Corbusier. Un choix qui soulève cependant des protestations, car le jury est accusé de favoriser des projets « suisses ». Un nouveau concours est néanmoins lancé parmi les neuf lauréats et le 27 décembre 1927 c’est le projet de Flegenheimer/Nénot qui en sort vainqueur. Le Corbusier, qui est particulièrement vexé, dénoncera dans une orageuse campagne de presse une Cabale menée à son encontre par des architectes académiques. Mais au-delà, ce sont aussi des sentiments antisémites que Le Corbusier exprime, acceptant mal qu’un architecte juif lui ait damé le pion dans cet immense projet. D’autres tensions surgissent aussi, mais cette fois-ci beaucoup plus pour des questions politiques.
Le jury est quelque peu contraint de demander à Julien Flégenheimer et Henri-Paul Nénot de s’adjoindre la collaboration de trois autres architectes, l’italien Carlo Broggi, le hongrois Joseph Vago et le français Camille Lefèvre.

Le Palais des Nations, 1938.

Ensemble, ils formeront le Comité des cinq architectes dont le projet final sera accepté en septembre 1929. Le palais sera achevé en 1938. Avec une longueur de 400m et un périmètre de 2km, ses dimensions sont gigantesques, au point qu’on le compare à Versailles. Flegenheimer signe ici une œuvre majeure dont il ne verra pas tout à fait l’achèvement final puisqu’il décède le 1er octobre 1938.

L’Oratoire israélite de Veyrier
Durant la construction du Palais des Nations, Flegenheimer n’est pas resté inactif. En 1930, il est ainsi mandaté pour la construction d’un Oratoire israélite sur la commune de Veyrier. Encore ici, c’est un édifice sans fantaisie inutile. Au style épuré de l’ensemble, l’architecte s’accorde cependant quelques libertés, avec des éléments en saillie, comme la corniche et la frise crénelée, ou encore des colonnes au style corinthien sommées de chapiteaux décorés de feuilles d’acanthe. Après une année de travaux, l’Oratoire est inauguré le 6 septembre 1931.

L’Oratoire israélite de Veyrier, 1931.

Le Palais des Thermes royaux d’Ostende
Dès 1929, le roi des Belges, Albert 1er, souhaite construire un grand palais destiné à abriter un hôtel et les thermes d’Ostende. Julien Flegenheimer est mandaté, en compagnie de cinq autres confrères (Gustaaf Vandamme, A. Dujardin, André-Louis Daniels, Henri Bard et F. Garella) à la réalisation de cet imposant palais de style néoclassique dont la décoration intérieure sera néanmoins réalisée dans un style art-déco. Encore ici, et bien que s’agissant d’un projet collégial, l’influence de l’architecture typique de Flegenheimer est palpable. L’aspect monumental de l’édifice et ses lignes symétriques rappellent en effet les formes du Palais des Nations à Genève. Ce Palais est achevé en juin 1933.

Le Palais des Thermes royaux d’Ostende, 1933.

Flegenheimer, peintre à ses heures
Profitant de sa présence en Belgique, l’architecte porte à terme le plan d’extension d’Anvers avant de s’accorder une pause artistique. En 1934, il expose en effet ses aquarelles au Musée Rath de Genève, puis à la galerie Charpentier à Paris où il enlève les suffrages des amateurs et des critiques.
Si une bonne partie des réalisations de Flegenheimer se trouvent à l’étranger, c’est sans aucun doute à Genève qu’il a fourni quelques-unes de ses œuvres les plus considérables, tant par la dimension des édifices, que par le style architectural qu’il a voulu imprégner.

©Jean Plançon – avril 2021