Victor FISSÉ (1890-1977)
Président du Groupe fraternel sepharadi à Genève, député au Grand Conseil de Genève, représentant à Genève du Fonds national juif.
Victor FISSÉ fut sans aucun doute un des représentants les plus emblématiques de la première communauté séfarade genevoise, le Groupe Fraternel Sépharadi, dont les membres étaient originaires de l’Empire ottoman.
Né à Constantinople en 1890, il suit très jeune les cours de l’école hébraïque dirigée par son père Joseph, un établissement qui, dans la capitale ottomane, favorise le mouvement des jeunes Turcs désireux de transformer le pays en une société moderne à l’occidentale. Mais, à l’approche de l’année 1900, Joseph Fissé est suspecté par le régime d’être un « progressiste opposé au pouvoir ». Il ne se sent plus en sécurité et décide d’émigrer en Egypte.
Victor Fissé. Coll. privée de la famille
Après un bref retour à Genève, entre 1934 et 1936, période au cours de laquelle il est en charge des activités du et député socialiste au Grand Conseil de Genève (le 1er séfarade à ce poste), les activités professionnelles de Victor Fissé l’éloignent encore une fois de sa communauté. Ce n’est qu’à partir de l’année 1943 qu’il s’investit à nouveau au sein du Groupe Fraternel Sépharadi, au cours d’une période particulièrement difficile qui va mobiliser l’ensemble des institutions juives de Genève pour assurer l’accueil des réfugiés qui fuient les persécutions nazies.
Ouvroir des Dames sépharadites à Genève. Coll. Jean PlançonLe Groupe Fraternel Sépharadi assumera ainsi sa part contributive humanitaire, grâce notamment à l’action déployée par les membres de la Société des dames séfaradites, institution d’entraide sociale efficacement dirigée par Claire Ariel. Au sortir de la guerre, Victor Fissé est conscient des bouleversements qui vont s’opérer dans les années à venir sur le plan international. Il entrevoit la fin des Empires coloniaux et l’instabilité politique qui entraînera à nouveau les Juifs sur les routes de l’exil.
En quelques années, les « nouveaux séfarades », comme on les appelle à Genève, originaires du Soudan, de Syrie, du Liban, d’Irak et puis d’Egypte, viennent gonfler les rangs d’une communauté qui connaît alors une profonde mutation. Cet afflux n’est d’ailleurs pas sans susciter quelques inquiétudes : les ottomans, jusque-là majoritaires dans la cité de Calvin, craignent de perdre leur identité judéo-espagnole et par là-même leur influence au sein de leur institution. De son côté, la C.I.G. ne voit pas d’un très bon œil l’accroissement notable d’une institution séfarade qui à terme pourrait bien compromettre son hégémonie sur la scène genevoise.
L’idée d’une fusion entre communautés ashkénaze et séfarade commence alors à prendre corps, surtout chez les dirigeants de la C.I.G., qui y voient un avantage : maintenir leur leadership. Une partie des nouveaux arrivants n’est du reste pas opposée à cette idée de fusion car elle permettrait notamment de construire un nouveau centre culturel séfarade dans le quartier de Malagnou : le futur Hekhal-Hanness. Victor Fissé sait désormais que la tendance est irréversible, d’autant que de nouveaux coreligionnaires originaires d’Afrique du Nord arrivent au début des années 1960. Il prépare donc le Groupe Fraternel Sépharadi à vivre ses dernières années, en tentant de préserver au mieux les intérêts de ses coreligionnaires ottomans.
Le 3 décembre 1964 la fusion est adoptée. Toutes les communautés juives de la cité de Calvin – y compris les deux institutions orthodoxes existantes à cette époque – intègrent la C.I.G. qui est désormais la seule représentante du judaïsme genevois. Victor Fissé, quant-à-lui, quitte ce monde le 1er juillet 1977 non pas sans quelques regrets, laissant derrière lui une culture joyeuse et colorée qu’il avait contribué à faire connaître. Il avait fondé sous sa présidence le « Club de la jeunesse séfarade » dont les membres étaient des adolescents âgés de 17 à 20 ans. Et c’est par le truchement des activités sportives que ces jeunes gens allaient contribuer au rapprochement des diverses communautés israélites présentes à Genève, en signant notamment les prémices des premiers mariages mixtes…entre séfarades et ashkénazes !
Curieusement, c’est ce rapprochement qui mettra fin au destin d’une institution aux traits si particuliers : le Groupe Fraternel Sépharadi.*
*L’orthographe d’origine a été respectée. L’appellation officielle s’écrivait ainsi dans tous les documents d’époque. Aujourd’hui, le terme Sépharadi à plutôt tendance à être écrit Séfaradi ou Séfardi (avec ou sans accent).
© Jean Plançon – 2020