Le Cimetière juif de Carouge

Localisation : Carouge – Suisse

Juridictions successives: Royaume de Sardaigne, France, Suisse

Le cimetière juif de Carouge est un cimetière privé appartenant à la Communauté israélite de Genève et qui est situé sur la commune de Carouge, dans le canton de Genève (Suisse). Il fut créé en 1788 alors que la ville de Carouge était sous dépendance du Royaume de Sardaigne.

Bien qu’officiellement toujours en service, ce cimetière est aujourd’hui essentiellement destiné à des visites à caractère culturel.

Situation:

Le cimetière juif de Carouge se trouve dans le quartier de la Fontenette. Il est bordé d’une part par la rue des Tireurs de Sable (qui emprunte le tracé de l’ancien canal de la Fontenette), et d’autre part par les terrains de football qui sont situés le long de la rivière l’Arve. Son entrée se trouve côté rue de la Fontenette, qui donne sur le pont du même nom.

Son niveau au sol est légèrement plus bas que les rues qui l’entourent; il faut donc emprunter un escalier descendant pour accéder au cimetière par son portail monumental qui est en pierre de Villebois.

Sa surface est d’environ 1 hectare, et il est composé de trois parcelles – historiquement distinctes -, qui abritent un total de 702 monuments funéraires.

Les tombes de ce cimetière ne sont pas orientées vers Jérusalem, comme il est généralement de coutume. Ici, elles se font face, et sont séparées par une grande allée centrale. Certaines tombes se trouvent cependant en position perpendiculaire par rapport à l’axe central actuel. Elles suivent en fait le tracé des anciens murs d’enceinte qui ont ensuite été démolis au gré des différents agrandissements.

Sur demande préalable, le cimetière est ouvert ou public ainsi qu’aux visites guidées.

Carouge: Un îlot de tolérance au XVIIIe siècle

En 1754, le traité de Turin, signé entre la République de Genève et le Royaume de Sardaigne, donne naissance au territoire de Carouge sous dépendance sarde. Très rapidement, sous l’influence de quelques notables locaux, comme Pierre-Claude de la Fléchère (le comte de Veyrier) ou Jean-Baptiste Foassa-Friot (l’intendant communal), de nombreux étrangers viennent s’installer dans une bourgade qui connait alors un rapide développement. La mise en place d’une politique particulièrement libérale, appuyée par l’exécutif turinois, permet à plusieurs minorités religieuses de trouver refuge dans une bourgade qui leur ouvre grand les portes. Ainsi, après les Protestants et les Franc-maçons, Carouge la catholique accueille dès 1779 des Juifs qui proviennent pour l’essentiel d’Alsace.

Origines du cimetière

En août 1788 survient le premier décès parmi les Juifs présents à Carouge. Il s’agit du fils de Joseph Abraham, qui est mort à l’âge de cinq ans de la petite vérole. Le conseil municipal accorde alors à Joseph Abraham « d’enterrer son fils sur une partie du vieux chemin délaissé, assez loin de la ville ». C’est le point de départ du cimetière juif de Carouge.

Quelques années plus tard, et pour ne point laisser à l’abandon ladite sépulture, la communauté juive de Carouge demande l’obtention d’une concession officielle alors que la commune est passée entre temps sous dépendance française. Le 27 pluviôse An VIII de la République, soit le 16 février 1800, les autorités accèdent à la requête. Le terrain, de forme rectangulaire, possède un périmètre de 92 toises et 8 pieds en longueur, sur 4 toises et demi en largeur. La « pierre sépulcrale » (la tombe du fils Abraham) constitue une des limites du terrain dont l’orientation suit le tracé du vieux chemin délaissé.

Dans cette partie du cimetière, les monuments funéraires sont essentiellement composés de simples stèles verticales, avec des inscriptions en hébreu. Ces stèles sont typiques de la tradition ashkénaze (Juifs d’Europe centrale et orientale). L’introduction de lettres latines sur les monuments ne s’effectue qu’à partir de l’année 1808 lorsque les Juifs ont pour obligation d’adopter un nom patronymique (décret de Napoléon).

Lors de la restauration intervenue en 1996, le parterre en herbe a été reconstitué tel qu’il était à l’origine.

Premier agrandissement en 1852:

Le 14 septembre 1852, la communauté israélite de Carouge, devenue entre temps celle du canton de Genève, obtient du Conseil d’État la permission d’acquérir une nouvelle parcelle de terrain destinée à agrandir le cimetière. Celle-ci se trouve entre le terrain obtenu en 1800 et le canal de la Fontenette. Pour répondre aux exigences légales, le cimetière est alors entouré d’un mur haut de 8 pieds, alors que l’entrée principale se trouve toujours du côté du vieux chemin.

Dans cette partie du cimetière, où les tombes font face à celles de la parcelle de 1800, les israélites commencent à délaisser le style traditionnel des stèles verticales au profit de monuments plus imposants. Ceux-ci sont réalisés en forme de tombeaux, sarcophages, obélisques et colonnes, typiques de l’architecture du Second Empire français, avec bien sûr quelques références à l’art égyptien. Le marbre blanc est déjà plus présent, avec un développement de l’art funéraire qui se matérialise par la réalisation de nombreuses sculptures, frises et autres détails décoratifs. Ces monuments – plus ostentatoires – semblent traduire une certaine réussite sociale.

Comme indiqué en introduction de l’article, les sépultures ne répondent pas à une orientation géographique (donc religieuse) précise. Au contraire, dans ce cimetière, et en particulier dans cette parcelle, l’esthétique et le gain de place sont les facteurs qui prédominent. Plusieurs tombes, situées le long du mur d’enceinte, sont perpendiculaires aux rangées centrales; elles forment ainsi une sorte de ceinture.

Deuxième agrandissement en 1874:

Le 29 juin 1874, la Communauté israélite de Genève fait l’acquisition de deux nouvelles parcelles adjacentes au cimetière déjà établi. L’acte notarié fait mention d’une surface de 125 toises et 8 pieds pour la première parcelle, et 281 toises et 2 pieds pour la deuxième. Une grande allée centrale sépare les deux parcelles qui se font face. L’entrée se trouve toujours au même endroit, et elle ne sera déplacée côté rue de la Fontenette que dans le courant du xxe siècle.

Ce nouvel agrandissement se distingue non seulement par la surface acquise, bien plus importante que les parcelles précédentes, mais aussi par la diversité des monuments funéraires qui s’y trouvent. Dans la partie proche des anciennes parcelles, le marbre blanc est encore bien présent, et certains monuments, richement décorés, atteignent même des proportions assez imposantes. L’art funéraire atteint ici sa plus haute expression, avec des drapés, des guirlandes et autres motifs en relief particulièrement soignés. Sur plusieurs tombes se trouvent des inscriptions en caractères cyrilliques, qui traduisent la présence de Juifs originaires de l’Empire russe. Enfin, quelques monuments rappellent le sacrifice de ceux qui sont tombés pour la France durant le 1er conflit mondial.

En remontant vers l’entrée du cimetière, les monuments font apparaître déjà leur plus grande modernité. Des Granits aux lignes sobres et épurées, mais au couleurs plus variées, viennent désormais remplacer le style flamboyant du XIXe siècle.

L’interdiction des cimetières confessionnels – loi cantonale de 1876

Le 20 septembre 1876, la nouvelle loi cantonale sur les cimetières entre en vigueur. De fait, ceux-ci sont déclarés de propriété communale et « pour ceux actuellement existants et qui n’appartiennent pas aux communes, ils ne pourront continuer à être utilisés qu’avec l’autorisation du Conseil d’État ».

Le 6 octobre 1876, la Communauté israélite de Genève obtient l’autorisation de continuer à utiliser son cimetière. Cet arrêt du Conseil d’État est toujours en vigueur de nos jours.

La nouvelle loi interdisant cependant tout nouvel agrandissement du cimetière existant, et même toute nouvelle création de cimetière confessionnel dans le canton, la Communauté israélite de Genève se vît dans l’obligation, dès 1916, de rechercher de nouveaux terrains, mais cette fois-ci en dehors du canton de Genève. En 1920, elle fit enfin l’acquisition de plusieurs parcelles, dont une bonne partie se trouvaient en territoire français, sur la commune d’Etrembières, donnant ainsi naissance au cimetière israélite de Veyrier.

La restauration de 1996:

En 1996, un vaste projet de restauration est mis en place à l’initiative de la Communauté israélite de Genève, propriétaire des lieux, avec l’appui de mécènes privés. Le cimetière, devenu inactif depuis 1968, date du dernier ensevelissement, a sérieusement souffert d’un manque évident d’entretien. La nature luxuriante à totalement envahi les lieux, et les monuments sont devenus noirs comme du charbon. Plusieurs d’entre eux gisent d’ailleurs à même le sol, sérieusement endommagés.

Après 18 mois de travaux, où l’on s’est appliqué à reconstituer les parcelles telles qu’elles étaient à l’origine, le cimetière retrouve toute sa splendeur. Tous les monuments ont été entièrement restaurés, et de nombreux arbres ont remplacé ceux qui étaient malades. Au cours des travaux, les fouilles ont permis de mettre à jour les fondations de l’ancien mur d’enceinte et qui avait été démoli pour permettre l’accès avec les nouvelles parcelles de 1874. Il a été restauré jusqu’à une hauteur de 50 cm pour mieux visualiser les séparations historiques des différentes parcelles existantes.

Le cimetière juif de Carouge fait non seulement partie du patrimoine juif genevois, mais aussi partie intégrante de celui de la commune de Carouge car il constitue un témoignage remarquable de la politique libérale et tolérante de cette cité entre le XVIIIe et le XIXe siècles.

© patrimoine juif genevois, mars 2015.

Photos: Jean Plançon