Liebe-Léa (Lina) Solomonovna STERN (1878-1968)

Scientifique d’origine russe, spécialiste en biochimie et physiologie, première femme professeure à l’Université de Genève.

Liebe-Léa (Lina) Solomonovna STERN est née le 26 août 1878 à Liepaja, dans le Duché de Courlande (Lettonie) faisant alors partie de l’Empire russe, dans une famille bourgeoise juive germanophone de condition aisée. Elle est l’aînée d’une famille qui comptera sept enfants. Après avoir obtenu son diplôme d’études secondaires à Liepaja, elle s’oriente vers la médecine mais se heurte à l’impossibilité de faire des études supérieures dans une Russie qui interdit l’accès des femmes aux universités. Comme beaucoup de ses compatriotes, elle se tourne alors vers l’Occident, et plus particulièrement vers Genève dont l’université ne pratique aucune discrimination et n’applique aucun numérus clausus.

Etudes de médecine et carrière à Genève

Lina Stern entame ses études à la faculté de médecine de l’université de Genève en 1898 et suit les cours de physiologie du professeur Jean-Louis Prévost. Obtenant son doctorat en 1904, elle retourne en Russie pour y faire reconnaître son diplôme mais décide finalement de rester à Genève où dès 1905 elle occupe une place d’assistante au Département de physiologie, où elle réalise, en collaboration avec son supérieur hiérarchique Frederico Battelli des recherches sur l’oxydation biologique qui permettront la découverte de l’enzyme polyphénoloxydase. Malgré les tensions qui existent entre eux, Lina Stern et Frederico Battelli collaboreront pendant de nombreuses années, cosignant une trentaine d’articles qui leur conféreront une réputation internationale. En 1918, Lina Stern obtient le grade de professeur académique et dirige le Département de chimie physiologique jusqu’en 1925. Première femme à accéder à un tel poste à l’université de Genève, elle gagne en autonomie et peut alors publier ses travaux sous son propre nom. Parallèlement à sa carrière, Lina Stern établit des contacts avec des émigrés politiques et commence à éprouver une certaine sympathie pour le mouvement révolutionnaire russe, en même temps qu’un sentiment d’aversion pour le système capitaliste de l’époque. Cet état d’esprit lui fait progressivement envisager de poursuivre sa carrière à Moscou, ce qu’elle décide de faire en 1925.

Avant son départ, elle accorde une interview à la Tribune de Genève, mais qui ne sera jamais publiée. Les raisons restent encore à ce jour inconnues. Le docteur Serge Hazanov, de l’Université de Genève, a cependant retrouvé les archives de cet entretien que nous vous proposons de télécharger en format PDF ci-dessous:

Interview de Lina Stern – 1925
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La carrière en U.R.S.S.

En URSS, Lina Stern a mené une vie scientifique très riche – elle dirigeait de nombreux instituts de recherche et des revues scientifiques, était appréciée et respectée par ses collègues et même par le gouvernement de Staline. Elle fut la première femme élue membre de l’Académie des Sciences de l’URSS.

Pendant la Deuxième Guerre Mondiale, Lina Stern était membre du Comité antifasciste juif de l’URSS, composé de plusieurs scientifiques et artistes d’origine juive, qui faisaient de la propagande antifasciste dans les mileux juifs américains, dans le but de récolter des fonds pour l’Armée Rouge. C’est ici que Lina Stern a réalisé l’ampleur de l’antisémitisme en Allemagne nazie, et plus tard en URSS.
En 1943, elle écrivit à Staline une lettre l’informant que certains dirigeants du Parti Communiste bloquaient la nomination des Juifs sur les postes à responsabilité, affirmant que ces actions allaient à l’encontre de la politique d’internationalisme. Staline ne lui a jamais répondu. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les médicaments et méthodes de traitement créés par Lina Stern ont sauvé la vie de millers de soldats soviétiques.

Lina Stern a toujours rêvé de récupérer les procès-verbaux de ses anciennes expériences, qui restaient bloqués à l’Université de Genève par ordre du professeur F. Battelli. Ses démarches, notamment lors de ses nombreuses visites à Genève, sont restées vaines. Pendant la Guerre Froide, Lina Stern est tombée en disgrâce. Lors de la campagne anti-sémite en URSS, son travail a été condamné comme “sioniste”. Ensuite elle a été arrêtée et jugée avec tous les membres du Comité antifasciste juif. Lina Stern fut la seule à échapper à la peine de mort – la rumeur disait que c’était la décision personnelle de Staline, qui espérait que Lina Stern puisse créer pour lui un médicament qui prolonge la vie. Elle fut condamnée à un exil de 5 ans à Jambul, une petite ville perdue d’Asie Centrale.

Une juste réhabilitation

Après la mort de Staline, en 1953, elle put retourner à Moscou et retrouver son labo. Avec toute son énergie, Lina Stern recommença sa recherche, ceci malgré sa condition physique, très affaiblie en exil. Dès son retour, Lina Stern ne se gêna plus de critiquer les défauts politiques de l’Union Soviétique, notamment le traitement hypocrite des Juifs. Elle se sentait alors plus juive que jamais auparavant.Toute sa vie, Lina Stern entretint une relation d’amitié avec Maurice Battelli, fils de Fédérico Battelli et petit-fils de Jean-Louis Prévost. Lina Stern fut honorée au niveau international comme pionnière en neurosciences. Elle écrivit plus de 250 articles scientifiques. Elle vécut célibataire, sans enfants. Une rumeur circulait selon laquelle dans sa jeunesse, encore à Genève, elle avait eu une liaison romantique avec un scientifique britannique. Le couple était déjà fiancé, mais lorsque le jeune homme lui exposa comment il envisageait leur vie future, avec Lina comme femme au foyer, elle mit fin à cette relation. Tous deux restèrent célibataires et gardèrent leur amour jusqu’à la fin.

Lina Stern est enterrée à Moscou dans le prestigieux cimetière Novodevichy. Sa ”linos”, la chanson de sa vie, est aussi magnifique que triste. La mémoire de Lina Stern, la première femme professeur, est toujours vivante à Genève – aujourd’hui son nom est porté par l’EVE (espace de vie enfantine) de l’UniGe, par un des bâtiments des Hôpitaux Universitaires ainsi que par un boulevard (ancien boulevard Pont-d’Arve).

Pas en Russie. Pas encore ?

Non omnis moriar …..

Docteur Serge HAZANOV

© Serge Hazanov/Patrimoine juif genevois – 2021